24 octobre 2009

Docteur chéri...

Il y a souvent des moments dans ma vie où je me demande si j'ai quelque chose de différent des autres sur le visage. Je veux dire on est tous différents hein, mais pourquoi y'a des trucs qui ne m'arrivent qu'à moi et pas aux autres?

Docteur Chéri, comme l'appelle Cédric, c'est notre médecin de famille, celui qui nous suis depuis qu'on est installés chez nous, depuis 8 ans donc. Babeth me demande souvent pourquoi j'ai choisi ce médecin là et pas un autre, alors qu'il y en a plein dans le quartier.
Au départ, j'ai choisi Docteur Chéri parce qu'il était le seul à faire tous les jours des consultations sans rdv... en plus de ça, il est pas vilain du tout, même plutôt mignon sauf qu'il le cache bien en général. Autre atout indéniable, Docteur Chéri sait rougir à la demande. Il suffit de lui dire : "bonjour Docteur Chéri, vous allez bien? Vous avez une petite mine aujourd'hui!" et hop, voilà mon docteur préféré qui pique un fard et se met à bredouiller. C'est pas courant des médecins comme ça, alors quand on en a un on le garde!
Le fait est que Docteur Chéri semble particulièrement incompétent. Pourtant je sais que dans son fort intérieur se cache un super héros qui ne demande qu'à se révéler, derrière des couches de manque de confiance en soi... A vrai dire, je pense sincèrement qu'il n'est pas plus incompétent qu'un autre, sauf que lui ne fait pas semblant de l'être et est tout à fait capable de vous dire "je ne sais pas." D'ailleurs c'est sa phrase préférée avec "je suis embêté." En général il se fait le petit plaisir de combiner les deux en disant : "ah. Je suis embêté. Je ne sais pas ce que vous avez." Il est trop mignon Docteur Chéri. Je suis sure qu'il dit ça par altruisme, pour me laisser lui souffler les réponses et me donner l'impression que je ne suis pas si crétine.
Vous en connaissez beaucoup vous des docteurs comme ça? Moi non. Il est rare qu'ils vous écoutent, encore plus qu'il vous laissent donner votre avis sur votre diagnostic. Pourtant on est quand même les mieux placés pour savoir.
Cela dit je ne suis pas maso. Si, un peu. Mais avec ma santé, non! Docteur Chéri me soigne. Il fait un peu peur comme ça quand il dit en rougissant qu'il est embêté et qu'il sait pas, et qu'il débat avec vous du pour et du contre entre rhino ou pharyngite, entre otite séreuse ou infectieuse, entre varicelle ou boutons de moustiques, mais il me donne toujours les bons medocs... "je ne sais pas ce que vous avez, mais ça, ça va vous soigner."
Docteur Chéri m'a appris à comprendre la médecine, à la démystifier, il m'a réconciliée avec l'idée du soin.
Bref, moi je l'aime bien mon Docteur Chéri qui sais pas et qui rougit.
Ca me change des docteurs Dupied mal aimable qui en 15min bi-annuelle de consult vous parle 14min du trou de la sécu et de comment vous le creusez. Delabouche cynique et imbu de lui même, qui vous menace de ne pas sédater votre bébé quand il l'opèrera (en trouvant l'idée très drôle, et tout son staff de petit toutous trouvent ça très drôle aussi), que les patients n'ont pas à comprendre ce qu'on leur fait, puisque de toutes façons ils sont trop bêtes pour comprendre. Deloreille qui trouve toujours un prétexte pour vous engueuler et vous faire mal. Deladent qui vous reçoit dans un cabinet tellement luxueux que vous n'osez pas vous asseoir, ne vous décroche pas un mot, fait faire une empreinte de vos dents par son assistante et vous demande 150€. Delatête qui pense que vous recevoir en retard et vous libérer trop tôt fait partie de la thérapie, et qu'il faut souffrir pour guérir. Bref, tous ces médecins très compétents qui vous donnent pourtant souvent l'impression de vous faire plus de mal que de bien.
Alors moi, quand j'ai un petit bobo, j'aime bien aller voir le docteur Chéri, pleurnicher que ça fait mal ci, et que ça fait mal là, que ça grattouille ici et que ça toussote là. Docteur Chéri il m'écoute, il est embêté, il prend mon nez qui coule au sérieu. il me regarde et il me parle, il trouve que mon avis est pertinent. Tellement pertinent que...

Début Octobre, visite des 4 mois de Camillette. J'aime bien Docteur Chéri mais je suis allée quand même la veille la mesurer à la PMI parce que j'étais un peu dubitative des mesures prises avec un mètre de couturière par mon Docteur préféré. A la PMI ils ont une vraie toise allongée, bien plus fiable. Sauf que la dame elle déplie pas les jambes de bébé et qu'il perd 2cm par mois... Finalement il est pas si mal le mètre de couturière de Docteur Chéri.
Quand mon médecin libère son patient précédent, je croise un personnage qui me fait hausser les sourcil : déguenillé, sale, visiblement imbibé d'alcool. Je le laisse sortir et entre dans le cabinet en jetant un regard interrogateur à Docteur Chéri. Bien mal m'en a pris.
"Ah!" Soupire Docteur Chéri en regardant dehors s'éloigner son patient. Docteur Chéri a le cheveu en bataille, la barbe pas rasé, il est efflanqué et sa chemise et fatiguée, tout comme lui.
"Ah!" Répète-t-il et je ne peux m'empêcher de lui faire un sourire engageant... Autant qu'il vide son sac tout de suite qu'on puisse passer à autre chose après. En fénéral je fais ça avec le Docteur Chéri, ça l'aide à se concentrer. Je lui demande comment il va, s'il n'est pas trop fatigué, si ses patients ne l'embêtent pas trop, si la pluie n'est pas trop mouillée, toussa toussa... Une fois que tout cela est dit on peut passer aux choses sérieuses.
"Je suis embêté." Me dit mon docteur. Ah? Mais j'ai rien dit encore!
"Ce patient me pose un vrai cas de conscience!" Ben merde! Ca me fait une drôle d'impression de l'entendre dire ça et j'ai déjà une petite alarme qui clignote dans ma tête. Est ce qu'un médecin parle de ses cas de conscience avec ses patients?
"Il va vraiment pas bien..." Docteur Chéri secoue la tête et moi j'essaie tout à coup d'avoir l'air moins engageante, je ne suis pas sure que cette discussion soit très à propos, je ne sais pas pourquoi!
"Il est foutu à mon avis!" ah ouiiii? que je répond d'une petite voix perplexe. Mais pourquoi il est entrain de me parler de ça, enfin! J'ai envie d'agiter les mains devant son visage en disant "youhou Docteur Chéri je suis une patiente, vous ne devez pas parler de ça avec moi! Vous devez juste regarder ma petite puce et vous extasier sur comment qu'elle est belle, et tonique, et éveillée! Et parler de moi moi moi!"
Mais non! Il continue, le bougre! "Je ne sais pas quoi faire. Normalement je suis sensé le faire hospitaliser de force vous comprenez?" heuuuu je sais pas moi! "Il ne veut pas se faire soigner?" que je demande. "Non, il ne veut pas, il est traumatisé par les hôpitaux, il ne veut plus y retourner." "Mais, ça le soignerai, une hospitalisation?" "Non, ça ne changerai rien. Je lui donne pfff même pas quelques mois" Mééééé je veux pas savoir ça moi! Je viens pour ma petite fille chérie tout petite et lui me parle de mourant en phase terminale! Non non non c'est pas comme ça que ça doit se passer la consult! Je dois dire 2 ou 3 trucs marrants pour que Docteur Chéri rougisse, Camille doit faire pipi sur la table d'auscultation en lui agrippant le doigt dans sa petite main, et Docteur Chéri doit me dire "mais non mais non c'est pas grave" en rougissant, et me parler de ses enfants avec un oeil ému. Il ne doit pas me parler de la mort maintenant!!!
Je me tâte. Est ce que je change de sujet au risque de paraître totalement grossière genre "ah oui, c'est dommage hein, et sinon vous partez en vacances à la Toussaint?" Non, je ne me vois pas trop dire ça. Alors je me dit que plus vite il aura résolu son problème et plus vite ma Camillette ira marquer son territoire dans la salle d'auscultation et lui hurler dans les oreilles quand il fera les vaccins.
"Hmm. Si l'hôpital ne lui apporte rien et qu'en plus il y est très mal à l'aise, ce serait dommage qu'il vive ses derniers jours dans un climat angoissant, peut être qu'il faut le laisser libre de choisir comment il passera les dernières semaines de sa vie. S'il souffre trop et change d'avis, il saura surement que faire."
"Oui, oui, vous avez raison. C'est ce que je vais faire!" huuuuu comment j'aime pas cette idée du tout, je suis pas médecin moi! C'est pas à moi de dire ça! "Il va beaucoup souffrir quand même, ça m'embête." hé oui, c'est bien embêtant tout ça, bon, on y va dans la salle d'auscult oui ou crotte? Je dis en rigolant et en me dirigeant discretos dans l'arrière sale "Au pire vous pourriez abréger ses souffrances, hein, comme ça vous ne vous posez plus de questions!"
Soupir. "Oui, je pourrais ptet faire ça!" Je me retourne, alarmée "Mais non enfin Docteur je rigolais! Vous savez, c'est pas très très légal de faire ça hein? Allons, vous ne devriez pas dire des choses pareilles surtout devant une patiente hein?" Docteur Chéri toussote et rigole dans sa barbe, mais il a toujours le regard lointain et triste.
Roh ben merde, on a pas fini!
Re-soupir. Quoi encore??? "Ah. Vous savez, des fois je me demande si je ne devrais pas arrêter d'exercer." Qu'il dit en passant son stétoscope autour de son cou. Il le teste, le tapote "vous voyez, même mon stétoscope ne veut plus travailler." "Mais enfin Docteur! Qu'est ce que vous racontez-là! Voyons! Vous faites un beau métier hein! Et par les temps qui courent, la crise, toussa! Allons allons!" On va l'ausculter oui ma poupée nom d'une truie??
"Oui, vous avez raison." Soupir. "Je devrais pas me plaindre, je gagne bien ma vie à côté de beaucoup de gens. Mais vous savez c'est beaucoup de travail..."
"Oui, oui Docteur, vous le méritez amplement votre salaire, c'est normal d'être fatigué avec toutes les heures que vous faites. Vous devriez peut être prendre des vacances, ça vous ferai du bien!" Et si vous méritiez votre salaire en faisant ses vaccins à ma fille, au passage, ça m'arrangerait aussi... "Oui c'est vrai vous avez raison je dois avoir besoin de vacances." Gros soupir.
Tout en parlant, Docteur Chéri ausculte distraitement Camillette qui, vexée de n'être pas considérée que ça, refuse et de faire pipi sur la table, et de brailler pendant ses vaccins. Décidément, tout fous l'camp ma bonne dame!
Pendant ce temps, mon médecin continue... "Dans quoi je pourrais bien me recycler, de toutes façons. Je sais pas ce que je pourrais faire d'autre, moi, je ne sais rien faire d'autre..."
"Mais non, enfin, Docteur, ne dites pas ça, vous n'avez pas besoin de vous recycler, vous êtes un bon médecin! Vous savez, j'aime bien venir chez vous, il y a plein d'autres médecins dans le quartier mais c'est chez vous que je vais parce que vous êtes un bon médecin, vous êtes à l'écoute, toujours disponible, toujours agréable..." Limite je lui tapoterai la main, genre. Docteur Chéri a l'oeil qui brille et le sourire ému. "Oh, c'est gentil ce que vous me dites, vous savez! C'est pas souvent qu'on me dit ça, des fois un médecin a besoin de l'entendre..." "oui oui, c'est ça Docteur, il faut vous ressaisir hein! Vos patients comptent sur vous!"
Docteur Chéri a l'air un peu mieux, ouf! Mission accomplie! J'en profite pour lui dire en rigolant jaune "vous savez c'est moi qui devrait vous faire payer la consult aujourd'hui!" Docteur Chéri rigole dans sa barbe en rougissant. "Oui, c'est vrai. Héhé." Il regarde le carnet de santé de Camille et voit qu'il reste le BCG à faire.
"Ah." merde, quoi encore? "Il faut faire le BCG. Je suis embêté." "Ben pourquoi?" "Ca en fait deux que je fais récemment là, et que j'ai eu beaucoup de mal à faire, du coup j'ai perdu confiance, j'ai trop peur de le refaire..." Ah ben v'la autre chose! En d'autres circonstances je lui aurai dit un truc du genre "quand on tombe de cheval il faut tout de suite se remettre en selle!" Mais en l'occurrence, il s'agit d'un vaccin et de ma fille, donc je dis juste d'une petite voix "Vous êtes sur Docteur?" "oui, vous savez il est très dur à faire ce vaccin et ça peut être très dangereux si je pique mal! Non, non, je préfère ne pas le faire."
Hé ben dis donc!

Je dois avouer pour le coup cher lecteur, que ma confiance infaillible en Docteur Chéri en a pris un coup! Mais en même temps je salue son honnêteté! Mais bon qui va me vacciner ma puce maintenant???

04 octobre 2009

réflexions en vrac sur mes enfants et ma relation avec eux...

Elle a les traits fins. La peau de pêche. Elle est douce et calme. Déterminée aussi. Elle a les cheveux frisés de la famille, qui seront plus tard autant fierté que calamité. Ses yeux sont deux billes bleues, mobiles et expressives, déjà emplies d'intelligence. Sa bouche est pleine, ourlée, délicate, comme des pétales de fleur. Ses sourires sont des cadeaux. Ses rires des trésors. Son front, ses sourcils, et la forme générale de son visage empruntent plus à son père. Elle est fine, petite, et pleine de rondeurs. Elle est tonique et souple, tout son corps s'exprime quand elle est dans l'échange. Elle a le sommeil léger mais confiant. Elle aime son lit, le notre, celui de son frère, et le canapé. Elle dort moins facilement dans son transat, comme une souche dans l'écharpe. Elle est câline et aime enfouir son visage dans ma poitrine, attraper mes doigts, les étirer, les porter à sa bouche et à son visage, guider mes caresses sur ses joues, son cou, ses cheveux. Elle aime tendre à son tour ses petites mains potelées vers moi, attraper mon nez, ma bouche, les caresser. Elle est douce, attentive dans ses gestes. Elle commence à sucer son pouce et tire satisfaction de ce petit exploit. Elle attrape ses genoux dans son bain, le fait de façon très concentrée. Elle cherche maintenant à viser ses pieds. Elle joue avec ses jouets suspendus, adore sa poupée. Elle joue avec son hochet, et aime s'en servir pour atteindre les jouets qui sont trop loin de ses mains. Elle se redresse avec force, comme si elle cherchait à s'asseoir, depuis ses un mois. Elle fait ça quand elle cherche sa tétine. Elle joue à retirer sa tétine de sa bouche, à la retourner dans ses mains puis à la remettre. Elle a mis du temps à babiller, pendant 3 mois elle ne prononçait aucun son, et puis c'est venu un jour. Elle babille fort et sérieusement. Très concentrée sur les sons qu'elle produit, elle prend plaisir à moduler sa voix, à faire courir l'air dans les différentes zones de sa bouche et de son nez, à introduire ses doigts ou bouger sa langue pour observer les effets. Elle aime couvrir le son de ma voix et celle de son frère en babillant plus fort. Elle sourit dès qu'elle voit son frère, et son regard pétille avec intensité. Depuis hier, elle a des éclats de rire qui sont de purs bonheur. Elle accroche le regard quand elle communique, rit ou sourit, à tel point qu'il est difficile de s'en détacher.

Dimanche, 8H30 du matin. La nuit a été courte, je me suis couchée trop tard. Je m'échine à introduire la tétine dans l'œil de Camille avant de réaliser que sa bouche est plus bas. Cela va-t-il suffire à la rendormir? Je n'attend pas de le savoir et m'écroule dans mon lit, j'ai mal au dos.
De vigoureux babillements s'envolent du petit lit. Je soupire et me résigne à ce que la journée commence. Mais j'ai le sourire, chaque fois que je l'entend. C'est de la fatigue, oui, mais c'est du plaisir surtout. C'est du plaisir tout le temps! C'est du plaisir quand je change ses fesses sales en fesses propres. C'est du plaisir quand il faut la soigner, la laver, l'habiller, la nourrir, la bercer, la consoler, lui parler, la faire jouer. La regarder dormir. C'est du plaisir sans arrêt. Les moments où j'ai ressenti une pointe d'agacement, depuis son premier mois, sont très rares.

Ce plaisir, ces journées qui s'enchainent trop vite, filent entre mes doigts, ces progrès constants qu'on a à peine le temps d'apprécier, me renvoient les images d'une autre période, que j'aimerai chasser négligemment de mon esprit en me disant "plus tard...". Mais non, je n'ai pas le droit de remettre ça à plus tard, de me vautrer égoïstement dans la pure osmose de ma relation mère-fille, car j'ai aussi une relation mère-fils à entretenir, et une relation femme-homme qui ne doit pas non plus être négligée.

Il est blond et frisé. Le visage bien dessiné. Doux, enfantin, avec une ébauche de caractère dans les angles de la mâchoire qui me rappellent comme il grandit. Il a les yeux d'un vert extraordinaire, mélange de bleu, de jaune, de verts, qui font écho à ses cheveux. Il a le regard doux, parfois espiègle, le plus souvent empreint de gentillesse. Il a mon nez large, un peu dévié, une cicatrice en "Z" à peine visible court sous sa narine et traverse sa lèvre. Ses dents du haut sont un peu vagabondes, celles du bas plus droites. Une incisive a rejoint la collection de la petite souris. Il a mon front court et la forme de mes oreilles. Le caractère déterminé, parfois obstiné, de son père. Il est "brillant" aux dires de ses tata, curieux de tout, presque obsessionnel dans son désir de comprendre le monde et ses mystères. Il a la soif insatiable de connaissances propre à son âge. Il est en admiration totale pour tout ce que fait son père. Il aime la musique, se faire beau, les chaussures "qui vont vite" et l'informatique. Il aime parler tout le temps, de tout, à tort et à travers. Il aime s'écouter, à tel point qu'il s'enregistre et se passe sa voix en boucle pendant des heures. Il me dit qu'il m'aime, qu'il aime son père, sa soeur, et qu'il s'aime très fort lui aussi. Il n'aime pas les limites qu'on lui impose, ne pas se sentir l'égal des adultes, de pas être écouté, entendu. Il aime sa kiné, mais n'aime pas être contraint à y aller. Il est farceur, provocateur, il a de la suite dans les idées. Il aime être avec les adultes, déteste jouer seul dans sa chambre. Il voudrait qu'on invite sa maitresse à dormir. Il se couche et se lève avec le sourire.

C'était un bébé tout rond, charmeur, souriant, facile. Un bébé qui s'adaptait de tout, partout, ne se plaignait jamais. Un bébé qui n'avait de cesse de créer le lien avec sa maman qui ne lui renvoyait que doutes et angoisses. Je me souviens la peur constante, dès que je croisais son regard, son petit corps plein de besoins que je craignait ne pas savoir combler. La répugnance qui me saisissait à introduire dans sa bouche la tétine du biberon et à regarder interminablement le lait qui semblait ne jamais se vider.
Je me souviens comme je le trouvais beau, comme je ne me lassais pas de m'émerveiller de tout son corps : ses mains, son bidon tout rond, ses cuisses dodues, son visage...
Je me souviens comme j'avais la sensation de ne plus exister, de ne plus avoir le temps de rien, et la recherche éperdue d'un sommeil qui semblait toujours me manquer. Dormir était une obsession, une crainte, un besoin jamais assouvi. Pourtant Cédric a fait ses nuits tôt, de plus en plus longues. A 7 mois il pouvait dormir allègrement 15h d'affilée et refaire une sieste ensuite. Il se réveillait rarement la nuit, mais jusqu'à récemment cette seule idée me paniquait. Je me souviens les trajets quotidiens interminables pour aller chez le kiné. Sous le soleil de plomb ou la pluie diluvienne de l'été. 3km aller, autant au retour. Côte à côte son père et moi, un peu abasourdis, choqués, mais découvrait aussi peu à peu le plaisir d'être ensemble dans un but commun. Je me souviens que Cédric adorait les cahots de la route qui le berçaient. Nous prenions garde à n'emprunter que les ornières, les cailloux, les bords de trottoir...

J'essaie de ne pas trop penser à ma différence de relation avec Cédric bébé et avec Camille bébé. Je suis contente de m'être extirpée de cette période d'effroi sans nom qui a suivi la naissance de Camille et qui au moins sur ce point rejoignait parfaitement ce que j'ai ressenti à la naissance de Cédric. Je suis contente de n'avoir pas réprimé par réflexe mon penchant naturel à fusionner avec ma fille, à l'opposé de ma réaction de recul face à cédric bébé, à qui j'avais trop peur de faire du mal, pour ne pas léser l'un par rapport à l'autre. Il est illusoire de croire qu'on peut élever deux enfants de la même façon, ni de façon égale. Je sais une chose en tous cas, c'est que j'ai donné mon maximum à Cédric, le maximum que je pouvais donner, avec les moyens, les connaissances, et le mental que j'avais à l'époque, et que je donnerai le maximum à Camille, avec les moyens qui sont miens aujourd'hui. Si je suis plus à l'aise aujourd'hui que naguère, si je fusionne comme si j'avais fait ça toute ma vie, j'ai aussi moins de temps, plus d'impératifs, je laisse passer d'autres choses, j'ai moins le temps et l'énergie pour les rituels, les jalons que j'ai tant veillé à poser pour Cédric et qui ont porté leurs fruits. C'est vrai que je n'ai pas fusionné physiquement avec Cédric, mais j'ai fusionné par le coeur, ça je le sais et je le vois encore aujourd'hui. Je pense à nos "aventures", comme Cédric les appelle. Nos escapades tous les deux, le vif plaisir que nous y avons pris, ce temps qui n'était consacré qu'à lui, où nous découvrions, devisions, bavardions. Je n'aurai jamais cette relation exclusive avec ma fille, qui devra toujours la partager avec Cédric. Finalement je suis contente que ce soit à ce point différent entre mes deux enfants, différents dans l'expérience et les choix, mais pas différent dans l'amour puissant et surtout naturel qui les imprègne. Je n'essaie pas d'être autrement que je suis. Je crois que définitivement, l'éducation que je donne, l'amour que je porte, seront toujours avant tout autre chose, empreints d'honnêteté et de respect. C'est ma règle de base : respecter l'autre, son intimité, sa personnalité, se respecter soi, respecter ses propres besoins, ne pas se sacrifier, se dissoudre dans sa maternité, pour ne pas être toute puissante, être soi, se respecter soi, c'est aussi donner l'exemple, et c'est ce qui fait qu'ensuite l'enfant se respecte lui même et respecte l'autre.

C'est ce qui fait qu'un petit bonhomme de 5 ans vous dit que quand il sera mort, certes, et c'est dommage, le monde ne cessera pas de tourner (il aurait bien voulu mais bon j'ai du le détromper), mais les gens le pleureront sur toute la surface du globe, assisteront à ses funérailles, et bâtiront une statue à son effigie!
C'est aussi ce qui fait que ce même petit bonhomme est capable de vous dire, même quand vous le terrifiez par votre colère de maman-pas-contente que lui aussi il est fâché, que lui aussi a des sentiments, et qu'il avait ses raisons de faire ses bêtises.
C'est ce qui fait également qu'il commence souvent sa journée par me demander comment je vais, comment j'ai dormi, et qu'il la termine en me souhaitant de beaux rêves et en me disant qu'il m'aime.

Je ne doute pas, je n'ai jamais douté je crois. J'ai douté de mes methodes, certes, j'ai douté de mes choix, je les ai remis en cause tout le temps, mais je n'ai jamais douté que je sois une bonne maman. Sans prétention aucune. Mais je ne doute pas que je leur donne le meilleur à chaque instant, un meilleur qui change à chaque instant, et qui au lieu de me rappeler que je suis imparfaite, me rassure sur le fait que je ne m'entête pas dans l'erreur, et ça, c'est le pire danger que je combat. Faire à la mesure du jour, à la mesure de l'enfant, à la mesure de soi. C'est ma recette.